L'aventure du Poséidon : Coulisses d'un tournage chaotique
Sorti en 1972, L'Aventure du Poséidon est devenu l'un des films catastrophes cultes des années 70. Mais derrière ce succès se cache une production tumultueuse, marquée par des conflits créatifs, des changements de script, des tensions entre personnalités et même des problèmes financiers. Plongeons ensemble dans les coulisses de ce classique du cinéma catastrophe, à travers des anecdotes véridiques et peu connues.
Sommaire
- Conflits entre scénaristes et production
- Réécritures majeures du script et raisons
- Décisions financières de la Fox et impact sur le tournage
- Désaccords entre le réalisateur et le producteur
- Autres difficultés et anecdotes de tournage
Conflits entre scénaristes et production
Dès les premières étapes, L'Aventure du Poséidon a souffert de différends créatifs. Un premier réalisateur engagé sur le film claque la porte pendant la préproduction, incapable de s'entendre avec le producteur Irwin Allen. La 20th Century Fox se retrouve alors avec tous les décors déjà construits, un scénario jugé "épouvantable" et plus de metteur en scène.
Le scénariste initial, Wendell Mayes, avait pourtant apporté des modifications importantes à l'histoire tirée du roman de Paul Gallico – il déplace l'action au réveillon du Nouvel An au lieu de la Saint-Étienne (lendemain de Noël) et élimine une scène de viol gratuite présente dans le livre. Malgré ces efforts, Mayes, conscient qu'on lui demandait de livrer un blockbuster "grand public" peu subtil, finit par demander à Allen de le relever de ses fonctions après quelques révisions du script.
Face à cette impasse, Irwin Allen engage le scénariste Stirling Silliphant pour reprendre le scénario depuis le début. Silliphant remanie l'intrigue au point d'obtenir le premier crédit au générique du film. Ces changements d'auteurs témoignent des frictions entre les scénaristes et la production quant à la tonalité et au contenu du film.
Réécritures majeures du script et raisons
Plusieurs remaniements scénaristiques significatifs ont marqué la gestation du film, souvent pour des raisons stratégiques ou éthiques dictées par la production. Par exemple, Irwin Allen refusait catégoriquement d'inclure des éléments trop choquants qui auraient pu rebuter le grand public. Le viol présent dans les premières versions du scénario a ainsi été supprimé dès l'étape de l'écriture, Allen estimant qu'"on ne peut pas se permettre ce genre de choses" dans un film d'aventure à gros budget. De même, situer le drame le soir du Nouvel An permettait de capitaliser sur l'ambiance festive et de rendre la catastrophe plus frappante – un choix adopté par Wendell Mayes lors de ses premiers travaux sur le script.
En cours de tournage, d'autres ajustements scénaristiques ont eu lieu pour renforcer la crédibilité de l'histoire. Le réalisateur Ronald Neame, inquiet que les 20 premières minutes du film soient trop calmes (uniquement dédiées à présenter les nombreux personnages), propose d'ajouter un prologue explicatif. Il suggère d'ouvrir le film par un carton annonçant qu'"à minuit, la nuit du Nouvel An, le S.S. Poseidon fut frappé par une vague gigantesque et chavira, ne laissant qu'une poignée de survivants". Cette idée, d'abord moquée par les autres, sera finalement retenue et s'avérera payante : en prévenant le public que la plupart des protagonistes allaient périr, le film suscite d'emblée l'attention et l'inquiétude du spectateur.
Autre exemple de réécriture en dernière minute : l'affrontement sous-marin entre le Révérend Scott (Gene Hackman) et Belle Rosen (Shelley Winters). Initialement, le script prévoyait que le pasteur laisse Belle plonger à sa place pour effectuer une réparation vitale. Hackman trouva cette réaction incohérente pour son personnage et suggéra une alternative : son personnage refuse de la laisser faire, plonge le premier, se retrouve piégé, puis Belle vient le sauver. Neame approuva : "c'est brillant !". Informée de ce changement, Shelley Winters – qui s'était engagée dans le film justement pour accomplir cette scène héroïque – entra dans une colère noire. "C'était la raison pour laquelle j'ai accepté ce rôle, vous n'allez pas me l'enlever !" s'emporta-t-elle, avant de quitter le plateau sur-le-champ. Heureusement, l'actrice revint quelques jours plus tard et tourna la séquence selon la nouvelle version proposée.
Cette anecdote illustre comment des réécritures de dernière minute, motivées par la logique narrative ou les acteurs, ont parfois créé des tensions sur le tournage.
Décisions financières de la FOX et impact sur le tournage
Au début des années 70, la 20th Century Fox traverse une passe financière délicate et hésite à financer un projet aussi ambitieux que L'Aventure du Poséidon. Le budget initialement alloué est très modeste (autour de 5 millions de dollars, somme modérée même pour l'époque). Alors que la préproduction avance et que les coûts commencent à déraper, le nouveau président de la Fox, Gordon Stulberg, menace carrément d'annuler le film pour éviter un gouffre financier.
Pour sauver son projet, Irwin Allen doit alors prendre une décision audacieuse : il propose de couvrir lui-même la moitié des frais. Le producteur part solliciter des contacts personnels fortunés et réussit à convaincre deux amis investisseurs – Steve Broidy (ancien président de Monogram Pictures) et Sherrill C. Corwin (propriétaire de salles de cinéma) – de garantir 4 millions de dollars sur leurs fonds propres. Cet apport décisif rassure la Fox, qui donne enfin son feu vert au tournage. En échange, Broidy et Corwin sont crédités comme producteurs exécutifs et surtout obtiennent 50 % des parts du film – une affaire en or, car le succès colossal de L'Aventure du Poséidon leur rapportera au moins 20 millions de dollars chacun sans qu'ils n'aient jamais eu à mettre les pieds sur le plateau.
Ironie du sort, L'Aventure du Poséidon deviendra l'un des films les plus rentables de 1973, sauvant en partie la Fox de ses soucis financiers. Néanmoins, les restrictions budgétaires initiales ont eu des conséquences concrètes sur le tournage : l'équipe a dû limiter le nombre de grandes scènes de foule et se concentrer sur un petit groupe de survivants. La production a aussi souvent cherché à économiser sur les effets spéciaux ou les cachets des stars.
Irwin Allen (producteur) et Ronald Neame (réalisateur) en plein tournage de L'Aventure du Poséidon. Allen, surnommé "le maître du désastre", n'hésitait pas à s'impliquer directement dans la mise en scène des scènes d'action, ce qui put occasionner des frictions.
Désaccords entre le réalisateur et le producteur
Les relations entre Ronald Neame (le réalisateur engagé par la Fox) et Irwin Allen (le producteur tout-puissant du projet) ont parfois été tendues. Neame a découvert qu'Allen tenait à garder la mainmise sur son film, au point de minimiser le crédit du metteur en scène. "The Poseidon Adventure est une production Irwin Allen… Très bien. Mais ça devait être 'un film de Ronald Neame' juste après le titre, et Irwin a fait reléguer mon nom après celui des acteurs", se plaint le réalisateur, qui reproche au producteur de s'être mis en scène dans les médias comme l'artisan principal du film.
En effet, Allen supervise de près le tournage, dirigeant la seconde équipe (chargée des prises de vues d'action et des effets spéciaux) et s'arrangeant pour être filmé sur le plateau pendant qu'il orchestre les cascades. Il en résulte, selon Neame, que le public a eu l'impression qu'"Allen 'avait tout fait'", ce qu'il juge "profondément injuste". Ces différends sur la paternité artistique du film ont alimenté une rivalité feutrée entre les deux hommes.
Par ailleurs, Allen s'est taillé une réputation de grand économe sur ses productions, ce qui a pu créer d'autres frictions. L'actrice Stella Stevens (qui joue Linda Rogo) le surnommait "l'homme le plus radin du monde", soulignant qu'il surveillait le moindre dollar dépensé sur le plateau. Cette approche budgétaire stricte d'Allen entrait parfois en contradiction avec les demandes créatives de Neame ou du reste de l'équipe.
Autres difficultés et anecdotes de tournage
En plus des conflits artistiques et financiers, le tournage de L'Aventure du Poséidon fut particulièrement éprouvant pour toute l'équipe, ce qui a donné lieu à d'autres anecdotes révélatrices. D'abord, le casting lui-même a connu des remous : Irwin Allen avait imaginé au départ des têtes d'affiche différentes (il a approché Gene Wilder pour le rôle de James Martin, ou encore Burt Lancaster pour incarner le Révérend Scott), mais plusieurs acteurs pressentis ont décliné ou quitté le projet en cours de route. C'est ainsi que Red Buttons a finalement été recruté pour jouer James Martin, remplaçant Gene Wilder qui s'était désisté à la dernière minute.
Sur le plateau, l'ambiance n'était pas toujours au beau fixe. L'actrice Carol Lynley (Nonnie) s'est vivement querellée avec Red Buttons, l'accusant de lui "voler des scènes" et de chercher à la déstabiliser en permanence. Leur antipathie réciproque éclata au grand jour lorsqu'en pleine promotion du film, Carol Lynley qualifia son partenaire de "personne odieuse" devant la presse, refusant de tempérer ses propos malgré les demandes du studio.
Cette tension entre acteurs est restée anecdotique comparée aux épreuves physiques qu'a représentées le tournage pour toute la distribution. Le film a été tourné dans l'ordre chronologique des événements, ce qui signifie que plus l'histoire progresse vers le chaos, plus les comédiens sont réellement fatigués, couverts de blessures et de saleté – un réalisme payé de leur personne. "C'est le tournage le plus exténuant physiquement de toute ma carrière", confiera Gene Hackman, épuisé, à la fin des 70 jours de prises de vue.
De fait, les conditions étaient rudes : les acteurs ont passé des semaines trempés d'eau froide (on les arrosait en continu pour les scènes dans l'épave) et à évoluer dans des décors penchés à 90°. Durant les deux premières semaines, la production n'avait même prévu aucun harnais de sécurité pour les séquences en hauteur – "si je glissais, c'était six étages plus bas, à travers les flammes, sur du béton", se souvient Carol Lynley, qui admet avoir eu très peur avant que des mesures de sécurité soient enfin mises en place. Plusieurs membres du casting ont subi des blessures plus ou moins graves. Red Buttons, par exemple, s'est ouvert la jambe sur toute la longueur lors du dernier jour de tournage en escaladant l'épave, terminant à l'hôpital malgré avoir traversé tout le film sans accident jusque-là.
Les cascadeurs et les trucages méritent aussi une mention spéciale. Une scène en particulier est restée célèbre dans les annales d'Hollywood tant elle était périlleuse : celle où un passager chute du plafond (qui était le sol avant le chavirage) et traverse une verrière plus bas. Pour filmer cette chute de 10 mètres de haut, Irwin Allen a demandé à Ernie Orsatti, un jeune acteur-figurant, d'exécuter lui-même la cascade – alors même qu'il n'était pas cascadeur professionnel. "Vous voulez vraiment que je fasse la chute ? Je ne suis pas un cascadeur", objecte-t-il, inquiet. Allen insiste et Orsatti finit par se lancer, sous l'œil des autres comédiens venus assister à l'exploit (Gene Hackman s'était posté près de la caméra pour immortaliser la scène, plaisantant : "On est tous venus te regarder mourir").
Le coordinateur des cascades lui prodigue un seul conseil vital : surtout ne pas rejeter la tête en arrière pendant la chute, sous peine de se briser la nuque. Agrippé plus de six minutes à une table boulonnée au plafond du décor renversé, Orsatti lâche finalement prise et fait une chute vertigineuse, heurtant et brisant la vitre en contrebas. La scène est mise en boîte en une seule prise, et le jeune homme s'en tire par miracle avec 16 coupures dues aux éclats de verre – inconscient mais vivant.
En guise de remerciement, la production ne lui versera qu'un modeste bonus de 250 $ (en plus de son cachet de figurant de 100 $ pour deux répliques). Terrifié mais sain et sauf, Ernie Orsatti deviendra par la suite un cascadeur renommé, cette expérience l'ayant propulsé dans une nouvelle carrière. D'autres prouesses physiques tout aussi risquées ont été réalisées, comme la chute de 12 mètres du personnage Acres à travers un conduit vertical étroit, exécutée par le cascadeur Larry Holt pour doubler l'acteur Roddy McDowall – une cascade si dangereuse qu'Irwin Allen lui-même la considérait comme la plus périlleuse qu'il ait jamais supervisée, gratifiant Holt d'une prime exceptionnelle de 1 000 \$ pour ce numéro.
Ces défis techniques et humains illustrent à quel point le tournage de L'Aventure du Poséidon s'est apparenté à une véritable "aventure" pour ceux qui y ont participé.
Conclusion
Malgré ces nombreux déboires – conflits d'ego, script réécrit à plusieurs reprises, financement in extremis, tensions sur le plateau et tournage harassant – L'Aventure du Poséidon a su naviguer vers le succès. Le film a non seulement été achevé dans les temps, mais il a triomphé au box-office mondial en 1973, devenant une référence du film catastrophe.
Avec le recul, les difficultés rencontrées en coulisses ne font qu'ajouter à la légende de ce long-métrage, prouvant que même "l'envers du décor" de cette Aventure fut mouvementé. Chaque anecdote de production, aussi tumultueuse soit-elle, contribue aujourd'hui à enrichir le mythe d'un film dont la genèse fut – elle aussi – une aventure hors du commun.
FAQ
Pourquoi le tournage de L'Aventure du Poséidon a-t-il été si difficile ?
Le tournage a été marqué par des conflits entre scénaristes et production, des réécritures de dernière minute, des tensions entre acteurs et des restrictions budgétaires imposées par la 20th Century Fox. Les conditions de tournage extrêmes ont également rendu l'expérience éprouvante pour l'équipe et les acteurs.
Quels acteurs étaient initialement prévus pour le film ?
Irwin Allen avait envisagé Gene Wilder pour le rôle de James Martin et Burt Lancaster pour incarner le Révérend Scott. Finalement, ces rôles ont été attribués respectivement à Red Buttons et Gene Hackman après plusieurs désistements.
Comment les conditions de tournage ont-elles impacté les acteurs ?
Les acteurs ont tourné dans des décors penchés à 90°, souvent trempés d'eau froide pendant des semaines. Plusieurs d'entre eux ont été blessés, comme Red Buttons qui s'est ouvert la jambe le dernier jour du tournage. Carol Lynley a également pris des risques en jouant sans harnais dans des scènes de hauteur.
Quel a été l'impact des restrictions budgétaires sur le film ?
Le budget du film étant limité, la production a dû réduire les grandes scènes de foule, privilégier un groupe restreint de survivants et optimiser les effets spéciaux avec des maquettes miniatures. Irwin Allen a même dû solliciter des investisseurs privés pour compléter le financement.
Quels effets spéciaux ont marqué L'Aventure du Poséidon ?
Le film est célèbre pour sa scène de chavirement du paquebot, réalisée en bassin avec une maquette détaillée. Une autre scène mémorable est la chute spectaculaire d'un personnage à travers une verrière, exécutée par Ernie Orsatti, un jeune acteur qui n'était pas cascadeur professionnel.